Louis Pauwels, messe de funérailles, Le Mesnil-le-Roi (Yvelines) le 31 janvier 1997

Publié le par Abbé C. Laffargue

Messe de funérailles de Louis Pauwels en l'église Saint Vincent du Mesnil-le-Roi (Yvelines)

Homélie de M. l'abbé Christian LAFFARGUE, du diocèse de Belley-Ars,

le 31 janvier 1997.

 

 

Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit...

 

Monsieur le curé,

Madame,

Monsieur le Secrétaire perpétuel,

Monsieur le Président,

Messieurs les Académiciens,

Messieurs les Ambassadeurs,

Monsieur le Ministre,

Messieurs les Députés, 

Messieurs les Maires,

Mes frères;

 

            Il peut sembler paradoxal que le membre de l'Institut, l'Officier de la Légion d'Honneur, l'Officier de l'Ordre national du Mérite, le Commandeur de la Couronne de Belgique, soit d'abord et avant tout un chevalier de cette humilité que le Cardinal Mercier définissait comme la loyauté dans la vérité.

C'est pourtant ce que l'inlassable recherche de Louis Pauwels, son constant souci de se faire réservoir avant de se faire canal nous indique. Ce fut même tout le courage inlassable de sa vie.

            Et c'est un clin d'œil de la Providence que celui qui avait cherché loyalement et trouvé véritablement, soit rentré dans l'Eternité le jour où l'Eglise fêtait Saint Thomas d'Aquin, le docteur angélique, le maître du questionnement qui habitait Louis Pauwels.

C'est aussi un signe curieux que nous soyons réunis autour de lui en la fête de Saint Jean Bosco qui fonda l'Ordre des Salésiens, du nom de Saint François de Sales, patron des journalistes.

Louis Pauwels, attentif aux progrès techniques de la presse, avait compris que la diffusion d'un magazine pouvait rendre le service que notre Saint-Père exprimait ainsi dans son discours à l'UNESCO: La tâche première et essentielle de la Culture en général et de toute culture est l'éducation. L'éducation consiste en effet en ce que l'homme devienne toujours plus un homme, qu'il puisse Etre davantage et pas seulement Avoir, et que, par conséquent, à travers tout ce qu'il a et ce qu'il possède, il sache de plus en plus être pleinement homme.

C'est le programme que, d'instinct, à travers la diffusion de reportages sur la beauté des sites et des oeuvres d'art, ou par l'excellence de diverses productions, ou la promotion de pensées et de penseurs remarquables, Louis Pauwels s'efforça de remplir.

Et pour terminer cette évocation, je me reporterai au dessein de Jacques Faizant dans "Le Figaro" de jeudi: au-delà de la complicité des fumeurs de pipes, Louis Pauwels y est présent dans une pensée affectueuse: Maintenant il sait, il connaît comme il était connu. C'est son matin des magiciens, pour toujours.

 

            Mais nous célébrons aussi les obsèques religieuses d'un chrétien pratiquant qui participait fidèlement à la Messe dominicale et qui se trouvait encore, la veille de sa mort dans cette église...

Il put recevoir aussi le sacrement de l'Extrême-Onction avant que son âme ne paraisse devant Dieu.

Ce Dieu révélé en Jésus-Christ que Louis Pauwels avait retrouvé lors de l'épreuve de sa chute d'Acapulco en 1992. Il racontait lui-même: On m'a poussé pour que je me relève autrement.

Et malgré la souffrance physique, transporté sur une civière, il avait éprouvé une joie intérieure qui soudain l'avait envahi, présence d'un Autre, de quelqu'un qu'il cherchait dans d'autres religions, sous d'autres formes.

Dieu nous attend souvent dans l'épreuve, sur ou sous la Croix, car c'est ellequi L'a révélé, contre toute attente et toute apparence.

Celui qui pouvait tout et qui acceptait de ne rien pouvoir, Celui qui savait et qui acceptait de ne rien savoir ("Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"), Celui qui mendiait un peu d'attention, un peu d'amour ("J'ai soif !") alors qu'Il avait rassasié les foules du pain des corps et du pain des âmes, celui de sa Parole et celui de sa Présence.

De cette présence spirituelle incarnée – la grâce – qui habitait Louis Pauwels lors de cette première épreuve et de toutes celles qui suivirent alors. Quand on commence à aimer, c'est-à-dire à se livrer, on commence à souffrir.

Jusqu'à la plus grande, car le glaive nous touche là où nous sommes le plus sensible, où Dieu nous demande, pour nous combler d'autres dons, ce à quoi nous tenons le plus: "Tout, Seigneur, tout le reste, mais pas cela !" avons-nous pu dire nous-mêmes, ont pu dire les âmes touchées par un appel...

Pour un écrivain, c'était le sacrifice de la lecture et de la plume...

 

            Alors, la nuit. Ne plus savoir, ne plus sentir et sembler perdre soudain Celui qu'on avait toute sa vie cherché, présence ravie aussitôt qu'effleurée !

Avec toutes les tentations et les preuves apparentes de l'illusion, de l'erreur, de la raison donnée aux négateurs et aux rieurs !

Comment ce Dieu qui avait fait irruption dans son âme, qui avait transformé secrètement sa vie et son regard, pouvait-il soudain l'abandonner et laisser aux ténèbres le pouvoir de remettre tout en cause, de donner comme la certitude au néant, de l'inexistence, de la vacuité de cette Foi, de la folie de cette Croix...!

En secret, sous le manteau noir

De la nuit, sans être aperçue,

Où que je puisse apercevoir

Aucun des objets de la vue,

N'ayant ni guide ni lueur, 

Que la lampe ardente en mon cœur.

aurait dit Saint Jean de la Croix citant l'un des trois poèmes de la Nuit obscure tant aimés de Paul Valéry.

 

            Je le vois, en ces temps d'épreuve, de plainte douloureuse et digne, chez lui, à genoux, après la récitation du Confiteor, recevoir le corps et le sang du Christ dans la sainte communion pour s'unir mystérieusement à Celui qui lui demandait pourtant un peu de son corps dans l'épreuve physique, un peu de son sang dans l'épreuve spirituelle qui l'étreignait.

Et alors qu'un moment après, je tentais de lui redonner force et Foi, il m'écoutait avec humilité, celle d'une intelligence blessée, avec ce regard doux et brillant – ce "regard spirituel" si bien perçu par François Léotard (cf "Le Figaro" du 29) – devenu si beau dans l'épreuve profonde, muette, douloureuse, mais offerte...

 

En ce Vendredi-saint, si pleinement vécu, il était tourné sans qu'il le sut, vers le dimanche de Pâques, lorsqu'on accepte de maintenir le cap et de suivre la route que l'on sait être confusément le pont vers l'autre rive, celle de la Vie, la Vie éternelle, où nous attend Celui auquel on a accepté, un jour et malgré tout ! d'être configuré.

   Il avait, peu après, pu terminer Les Orphelins.

 

Oui, François Nourissier l'a bien saisi: "Pauwels ne perdit jamais de vue son âme. Le fameux supplément d'âme qu'il fut longtemps de bon ton de réclamer, il en avait fait le cœur brûlant de tout ce qu'il aima." ("Le Figaro" du 29).

Et Christian Charrière, dans le style grinçant de ses emportements vrais: "Pauwels a été un chantre pour des lendemains qui ne chantèrent pas, un analyste des béances du temps, un garçon coiffeur pour la chevelure des anges et, enfin, un vase pour des fleurs de la pensée qu'à défaut de son existence nous n'eussions pas vues éclore." ("Le Figaro-littéraire" du 30)

../.    

Retrouvant Dieu, il retrouvait l'Eglise. Ne se laissant cependant enfermer dans aucun parti intellectuel ou religieux. Il gardait cette indépendance d'esprit si rare, car elle vous aliène aussitôt les courants puissants qui se partagent les faveurs du monde et qui les distribuent.

Il n'appartenait à personne car il appartenait à l'Intelligence devenue Sagesse quand elle s'est renoncée et qu'elle a dépassé l'exaltation du moi et pris le poul de l'Intelligence incréée.

Mais le corps ne suit pas toujours l'âme et l'âme ne suit pas toujours Dieu.

Le péché ou l'angoisse – qui est quelquefois pire car elle est insaisissable et n'a pas la réalité d'actes bien objectifs – sont parmi les épreuves dont nous ne sommes délivrés que par la mort.

Cette angoisse-là, Louis Pauwels l'a vécue jusqu'aux dernières heures où il écrivit sur une grande feuille blanche laissée sur son bureau:

Plus je vais, plus je lis, plus je vois (pardon d'être grave) combien il devient malaisé de se maintenir chrétien des anciens jours.

Oui, à l'angoisse des épreuves personnelles, s'ajoutait – comme tant d'autres ! – l'épreuve d'une crise terrible traversée en cette deuxième moitié du XXème siècle par une Eglise qui, loin d'apporter la certitude et la paix, délivrait par ses représentants – souvent éminents – le doute, la révolte, le rejet – comble de l'ironie ! – de tout ce qu'elle avait été, de tout ce qu'elle devait être dans un monde affamé de Dieu, de l'intelligence des grands mystères et de paix pour l'âme.

Non qu'il rêvait d'un retour à un passé idéalisé par le moyen de quelque contre-révolution, mais Louis Pauwels, comme tout baptisé et tout fils de l'Eglise, était en droit d'attendre d'une barque qui se réclame du Seigneur qu'elle ne se précipite pas dans les flots des tempêtes qu'elle provoque !

Mais si ses dernières lignes furent celles-là, ses dernières paroles furent d'amour alors que la voiture l'emmenait vers l'hôpital et que la paralysie le gagnait, il eut la force de dire encore à ses enfants qu'il les aimait...

Cher Louis Pauwels, j'ai reçu comme une grâce celle de vous connaître dans les moments difficiles où l'âme est mise à nu, mais serait-ce vous trahir ou heurter votre pudeur, que de dire à vos amis ici présents (aux autres, vous le direz vous-même) que vous les aimez aussi, qu'ils veuillent bien se souvenir de vous dans leurs prières et que vous nous précédez dans l'Eternité ?

Non celle de l'inconnu et du vide, mais de l'Eternité plénière de la Présence de Celui dont vous avez croisé la route où Il vous attendait, dont vous avez porté la Croix, terrible et douloureuse parfois, mais lumineuse toujours...!

 

            Puisse votre regard qui Le regardait sans Le voir et dont vous étiez le reflet sans le savoir, nous donner force et courage, et surtout l'Espérance !

L'Espérance douce et paisible qui s'étend et nous envahit quand les combats sont terminés, que les armes sont rendues et que le cœur s'est définitivement ouvert à Celui qui, maintenant, l'emplit...

 

            Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.

Ainsi soit-il.

 

Ab. L.

 

Classant, dernièrement, les sermons de circonstances, j'ai retrouvé celui que j'avais prononcé pour les obsèques de Louis Pauwels (le 31 janvier 1997 au Mesnil-le-Roi, Yvelines), l'écrivain, le journaliste créateur du Figaro magazine (1978), que j'avais rencontré lorsque j'étais aumônier de la Maison de retraite voisine (1995-97) (Cf mon livre Pour l'amour de l'Eglise, Fayard, p. 101). Je lui écrivais souvent pour le remercier de ses éditoriaux du Fig mag

Un jour son épouse me téléphona pour m'inviter à déjeuner. C'est après qu'il fut atteint par l'épreuve et que je lui apportai la sainte communion. 

Ayant quitté les Yvelines pour l'Ain et septembre 1995, incardiné dans le diocèse (Belley-Ars) en juillet 1997, Mme Pauwels (sa seconde épouse, Elina, qui "le suivit" dans sa conversion et sa réconciliation avec l'Eglise dans une abbaye bénédictine) me demanda de revenir pour célébrer ses funérailles. La célébration de la Messe ne m'ayant pas été permise "par le diocèse" (pourtant dans "la forme ordinaire"), je pus cependant donner l'homélie, ce qu'on me permit ! Plus tard, Madame Pauwels la joignit au dossier qu'elle réalisa pour l'envoyer aux relations de son défunt mari.

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