Le jugement téméraire (L. Scupoli)

Publié le par Abbé Laffargue

Le jugement téméraire

d'après Lorenzo Scupoli, religieux Théatin italien (1530-1610)

dans "Le combat spirituel" au chapitre 43

(éd. Artège, Perpignan, 66 – 2010) (extraits)

Combien nos penchants mauvais et les suggestions du démon ont de force pour nous pousser à juger témérairement du prochain, et de quelle manière nous devons résister à cette tentation.

 

      "L’estime et la bonne opinion que nous avons de nous-mêmes produit un autre désordre gravement préjudiciable : le jugement téméraire qui nous porte à mépriser le prochain, à le dénigrer et à l’humilier. Ce vice auquel elle a donné naissance, la vaine gloire le fomente et l’entretient d’autant plus volontiers qu’elle grandit avec lui et arrive peu à peu à se complaire en elle-même et à se faire complètement illusion. C’est ainsi que nous croyons, à notre insu, nous élever à mesure que nous abaissons les autres dans notre estime, persuadés que nous sommes d’être exempt des imperfections que nous nous plaisons à remarquer dans le prochain. De son côté, le malin esprit qui nous voit dans cette mauvaise disposition d’esprit ne cesse pas un instant de tenir nos yeux ouverts et notre attention éveillée sur les défauts d’autrui pour les observer, les contrôler et les exagérer. On ne saurait, si on n’y prend garde, se figurer les efforts qu’il fait, les artifices qu’il invente, pour imprimer dans notre esprit les moindres défauts du prochain quand il ne peut nous en dévoiler de considérables.

Puis donc qu’il est attentif à vous nuire, veillez vous-même à ne point vous laisser prendre à ses pièges. Aussitôt qu’il vous représente un vice du prochain, vite portez votre pensée ailleurs ; et si vous vous sentez encore enclin à juger sa conduite, considérez que ce pouvoir ne vous a pas été donné ; et que, vous eût-il été donné, vous ne seriez pas à même de porter un jugement équitable, environné de mille passions et incliné que vous êtes à penser mal des autres, sans raisons plausibles.

Mais le remède le plus efficace à ce mal, c’est d’occuper votre pensée des besoins de votre âme. Vous vous apercevrez de plus en plus que vous avez tant à faire et à travailler en vous-même et pour vous-même que vous n’aurez plus le temps ni l’envie de songer aux affaires d’autrui. (…) Songez que le jugement téméraire que vous portez sur votre frère est une preuve que vous avez dans votre cœur quelque racine du mal que vous lui reprochez ; car le cœur vicieux se plaît à voir dans tous ceux qu’il rencontre les vices auxquels il est sujet lui-même. Lors donc qu’il vous vient à l’esprit d’accuser le prochain de quelque défaut, croyez que vous en êtes vous-même coupable et tournez votre indignation contre vous-même. Dites-vous intérieurement : Misérable que je suis ! Plongé moi-même dans ce défaut et dans de plus grands encore, j’irai lever la tête pour voir et juger les défauts d’autrui ? De cette façon, les armes dont vous deviez vous blesser en les dirigeant contre le prochain, ces armes, tournées maintenant contre vous-même, apporteront la guérison à vos plaies.

Si la faute est claire et manifeste, il faut excuser charitablement celui qui l’a commise et croire qu’il y a dans votre frère des vertus cachées pour la conservation desquelles Dieu a permis cette chute, ou bien que le Seigneur lui laisse ce défaut pour le rendre plus méprisable à ses propres yeux, lui faire retirer des mépris dont il est l’objet des fruits abondants d’humilité et lui procurer ainsi un gain supérieur à la perte qu’il a subie. Et si le péché n’est pas seulement manifeste, mais grave et obstiné, tournez votre pensée vers les redoutables jugements de Dieu, et vous verrez que des hommes plongés auparavant dans toute sorte de crimes sont arrivés à un haut degré de sainteté, tandis que d’autres qui semblaient avoir atteint le faîte de la perfection sont tombés dans un abîme d’iniquités. Partant, tenez-vous toujours dans la crainte et le tremblement plus pour votre propre salut que pour le salut de qui que ce soit. Imprimez profondément cette vérité dans votre esprit que tout le bien et toute la satisfaction que vous cause la perfection du prochain est un fruit du Saint-Esprit, et que tout mépris, tout jugement téméraire, toute amertume à son égard vient de votre malice et des suggestions du démon.

S’il arrivait qu’un défaut du prochain eût fait sur vous une impression fâcheuse, ne prenez point de repos, ne donnez point de sommeil à vos yeux, que vous ne l’ayez entièrement effacée de votre cœur."

Ab. L.

(Bulletin paroissial de Tossiat du 12 mai 2013)

 

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